Romans

Extraits...

Azur et Poussière

« Sanglée dans sa tenue d’uniforme impeccable, la jeune policière canadienne arborait deux écussons brodés, l’un représentant une feuille d’érable, l’autre une fleur de lys, emblème héraldique de feue, la royauté française… »
« J’avais donc pris un vol intérieur des Nations Unies avec armes et bagages à destination de Jérémie, bien décidé à me donner à fond pour cette mission que je considérais comme noble, aider ces collègues du bout du monde, si fiers de participer au redressement sécuritaire de leur pays… »
« Bien plus bas, la grève était déserte, l’océan s’étendait dans toute sa majesté, clair, troublant et attirant à la fois.
 
 
Nous la savions hantée de l’âme de ces esclaves noirs, autrefois enterrés vivants ici, sur l’ordre de négriers, traqués depuis la mer des Antilles, par les vaisseaux de Sa Majesté… »
« Mon regard se porta vers la silhouette d’un homme jeune et torse nu, qui se disputait âprement avec les autres passagers du convoi. Déjà, le bouillonnement furieux de l’eau atteignait son thorax et la coulée l’emporta à la seconde, tel un fétu de paille, le projetant en l’air avant de l’aspirer vers le fond. Ma nouvelle équipière, tétanisée, ne bougeait plus… »
« Mes yeux coulaient sur son corps long et gracieux au ventre creusé, puis sur le petit diamant brillant à son nombril, sur lequel se reflétait la lune. Ses cheveux, malgré eux, caressaient mon visage, causant à mon âme autant de plaisir que de tourment. Subjugué, je sentais s’enfuir le long de mes épaules, l’eau si tiède que ses boucles d’or avaient volé à l’océan… »
« L’homme s’était remis à frapper le garçonnet à coup de câble, un pied sur son ventre pour mieux le maintenir au sol. Mais pour Caroline et moi, même si la PNH était absente, il était hors de question de fermer les yeux sur ce crime, alors que nous travailliions au service de la Paix, comme l’indiquaient les écussons brodés sur nos manches de chemise… »
« L’étau de notre commandante de région, et ce n’était pas vraiment une surprise, se resserra encore un peu plus sur ma jeune équipière. Elle ne lui adressait plus la parole, saluait tout le monde le matin sauf elle, et la traitait comme une pestiférée… »
« Je regardais cette jolie fille se mouvoir avec aisance, l’arme à la main, en position de défense. Visiblement, les écoles de police du monde entier enseignaient les mêmes règles de prudence. Il nous fallait les prendre vivants, car nous n’ignorions pas le sort qui leur serait réservé, si les villageois mettaient la main sur eux, avant nous. La justice populaire était très expéditive en ces contrées oubliées de tous, et surtout pour les tortionnaires et assassins d’un hougan du village… »
« Nous nous offrîmes tout entiers au déluge tropical qui commençait à s’abattre sur nous, charriant une pluie tiède, alors que nous pourfendions avec délice ce souffle humide et brûlant à la fois qui nous renversait. C’était notre devise, oser ce que les autres ne feraient jamais, poursuivre et atteindre des rêves qui n’étaient possibles qu’à de rares moments, et dans certains endroits du monde… »
« Comme chaque matin, Caroline et moi ouvrîmes la porte des geôles du commissariat de police, qui n’était maintenue que par un simple cadenas. Un enfant d’une dizaine d’années, à moitié nu, déféquait devant la grille séculaire, en cette pièce de moins de dix mètres carrés, dont l’odeur infecte montait à la gorge.  Tout autour, une dizaine d’individus allongés, se relevaient péniblement dans cet enclos autrefois réservé à l’armée de ce pays, avant qu’elle ne soit dissoute en 1994 »
« Oh Caroline, la flamme de cette chandelle, affolée par la brise, danse près de ton visage, je crois que tu n’as jamais été aussi belle que ce soir, mais visiblement tu sembles l’ignorer. Il doit bien exister dans ce pays un hougan, plus fou encore que les autres, qui saura me procurer cet élixir qui t’accordera la jeunesse, mais aussi la beauté éternelle. Oh, tu ris de mes bêtises, en me disant que je ne suis qu’un enfant, qui refuse de grandir… »
« Le praticien, très ouvert comme on peut l’être dans ce pays, nous convia à assister à l’examen gynécologique de la petite victime, mais je préférais déléguer cette lourde tâche à ma belle équipière. Le constat était clair, l’hymen était déchiré et des traces de liquide séminal étaient encore visibles… Aussi, une heure plus tard, Caroline et moi nous trouvions, les menottes à la main, devant le domicile du suspect, dénoncé par l’enfant. »
« Il me fallait aller vers elle, pénétrer dans cet antre où résidaient patiemment les secrets que son coeur préféraient me cacher, et c’est à ce moment qu’elle tourna le clair intense de ses yeux vers moi, en un silencieux appel, presque douloureux. Elle venait enfin d’abaisser cet infranchissable pont-levis, cette barrière à mes yeux insurmontable que j’avais pourtant décidé d’assiéger dès notre première rencontre, sans même m’en rendre vraiment compte… »
« Debout devant le capot de notre Nissan Patrol, nous attendions que ces fossoyeurs de fortune inhument ce pauvre bougre, brûlé vif, par cet énorme pneumatique enflammé, passé de force autour de sa taille. La main posé sur la crosse de mon pistolet automatique, je les observais à la dérobée, et il était devenu hors de question de tolérer la présence d’un seul d’entre eux, à moins de dix mètres d’elle…Il n’y aurait pas de nom sur cette tombe, pas de croix non plus, puisque nous ignorions quel Dieu pouvait prier ce garçon, dans ses moments de détresse »
« Grisés par ces quelques alcools fins, nous avions erré avec ravissement sur le sable blanc de la plage de Port-Salut, tout en demandant au monde de nous oublier, sur cette belle île d’Hispaniolia. Le paysage était grandiose et les flots indomptables engloutissaient la lumière du jour. La mer et l’océan qui bordaient Haïti, faisaient déjà partie de notre romance. Puis, il y eu la parfum unique de ses cheveux, en lesquels j’avais tellement envie de plonger mon visage, pour y pleurer de ce bonheur, qu’elle seule savait m’offrir, sans compter… »
« Les émeutes de la faim faisaient rage quant à présent, et dès les premières batailles de rue, elle et moi nous étions retranchés sur le toit de notre villa. De jeunes haïtiens survoltés, parqués devant notre portail, nous demandèrent de quitter le pays, ou bien de mourir. Nous leur répondirent par un feu cadencé, mais d’une efficacité redoutable, durant une bonne partie de la nuit, tout en évoluant sur un sol jonché d’étuis de cartouches. C’est cette nuit là que Caroline apprit à confectionner ces cocktails Molotov, qui furent nécessaires à notre survie »
« Epuisé, à genou devant son image à présent charismatique, malgré l’amour et les larmes silencieuses que je déposais à ses pieds, je comprenais bien que ce n’était pas encore assez…l’âme déchirée, je regardais ma Caroline, cette enfant chérie qui régnait désormais sur les remparts de mon coeur, me fixer dans ce silence douloureux et infini, et je compris enfin que même le bleu de ses yeux avait prit la couleur de cette mer qui dort… »
 

Noir Soleil

« De l’autre côté de l’Atlantique, la petite voix d’Elysa s’est tue. Là-bas, près de Bordeaux, il neige dans la nuit et ma fillette de huit ans, va fêter la nouvelle année six heures avant moi. Je soupire, conscient qu’ici, sur cette île d’azur et de poussière que je connais si bien, une page va se tourner, et un cycle s’achever… »
« Cristina m’attire beaucoup, mais depuis ma folle histoire d’amour avec Caroline quelques années plus tôt, quelque chose s’est brisé au meilleur de moi-même, et aucune forme de sentiment amoureux n’a pu renaître en moi. Mais c’est mon choix de vivre dans un monde à part, où je ne laisse aucune place à l’amour, si ce n’est quelques étreintes dérisoires, des coucheries fugaces, dans ces moments de désespoir où je crois puiser ma dernière énergie au fond d’un verre d’alcool… »
« Nous venons de comprendre elle et moi, qu’en cet instant tout bascule. Au delà des vallées, un monstrueux nuage de poussière s’élève au ralenti vers le ciel rougeoyant. Les rues de la capitale grouillent à présent de ces silhouettes couvertes de cendres et de gravats. Le palais présidentiel est détruit, la cathédrale Notre Dame de Port au Prince a enseveli de nombreux paroissiens… »
« Haletant, les yeux plantés dans la clarté de son regard, face à son souffle chaud et saccadé, je ne résiste plus, et ma bouche, avide de goûts et de découvertes, s’égare sur les chemins de sa chair salée. Alors une barrière cède et tandis que cette nouvelle réplique sismique nous secoue, la belle orthodoxe au yeux de feu, s’étire vers le ciel en poussant d’interminables soupirs… »
« Dès la tombée du jour nous restons tapis sur le pont d’un bateau, à guetter l’arrivée d’une maudite embarcation censée transporter sa poudre blanche et mortelle, vers cette plate-forme de super-marché hyper tolérante, qu’est devenu le plus petit pays d’Amérique centrale… »
« Chaque matin, des cars multicolores et cabossés, peinturlurés d’inscriptions naïves à la gloire de Dieu, n’en finissent pas de déverser des centaines de réfugiés, sur l’emplacement poussiéreux qui sert de gare routière, peu avant l’entrée de Jérémie. Bien sûr, la violence y est omniprésente, et malgré notre bonne volonté et notre acharnement à faire bouger les choses, nous avons bien du mal à la canaliser… »
« Une table faisant office de bureau, deux chaises rustiques, un brancard revêtu d’un drap blanc, une tablette en acier supportant divers flacons, voilà en tout et pour tout, l’univers de la jeune femme médecin qui nous reçoit aujourd’hui. Elle s’exprime dans un bon anglais, mais le service de renseignements des Nations Unies de Port au Prince, m’a récemment confirmé qu’elle possédait un excellent niveau, dans la langue de Molière… »
« En fin de semaine, je me sens las, comme si mon traitement médical peinait à faire son effet sous les tropiques. La prison civile de Jérémie, croule sous un nombre sans cesse croissant de détenus, et j’ai dû me résoudre à demander une audience au commissaire de la République, afin qu’il veuille bien suspendre les incarcérations liées aux délits mineurs. Le comble pour un policier français !  Mais je suis soulagé qu’il ait daigné m’entendre. En réalité, nous vivons tous ici, sur des barils de poudre… »
« Empilés au milieu de l’hélicoptère de combat, de multiples sacs, casques, filets et armes lourdes, nous séparent à présent. Elle observe ce matériel avec dégoût…c’est vrai, elle est toubib !  Elle semble plus austère que jamais, mais pour la première fois, tout en profitant du parfum sucré de sa mystérieuse eau de toilette, je la trouve belle… En même temps, j’espère que les vapeurs de rhum que j’ai ingurgité hier au soir se sont envolées, mais je me doute bien qu’il n’est pas facile de cacher à un médecin qui vous observe, son penchant pour l’alcool… »
« Je n’ai de cesse de me concentrer sur le travail de nuit, ce moment devenu le berceau de mes angoisses, comme si chaque soir, l’endormissement allait être jusqu’à la fin de mes jours, une inextricable épreuve. J’ai toujours eu à cœur d’accompagner mes hommes sur le terrain et de prendre les mêmes risques qu’eux. Nous avons dressé bien des barrages routiers à la hauteur du village des Roseaux, sur la route de Port au Prince, et miraculeusement, le trafic de stupéfiants a sérieusement baissé dans notre département… » 
« Júlia, ce délicieux prénom, roule maintenant dans mon esprit, je le trouve doux et beau à la fois, j’imagine que les femmes ayant la chance de le porter doivent être d’une indicible beauté. Voilà que revient à mes narines, la luxuriance de son eau de toilette et sans surprise, je constate qu’elle est redevenue la jeune doctoresse d’avant notre séjour sur la capitale, distante, pour ne pas dire cassante… »
« Ces jours-ci, je ne vois que très peu notre villa, souvent, je me retrouve à dormir dans mon 4X4 flambant neuf, me lavant avec joie dans l’eau d’une rivière devant des petits villageois moqueurs, me rasant un jour sur deux au miroir rétroviseur du Nissan Patrol. Nous sommes encore en chasse au bout du département, et il reste maintenant l’attente, ces moments si motivants, ces heures captivantes, et je vois défiler toutes ces nuits, ces jours aussi, dans ma carrière de flic, ces instants qui ont irréversiblement modelés mon caractère… Lentement, j’ai appris à m’adapter, voire même me confondre avec mes proies, aussi insipides soient-elles… »
« Je conduis vite mais avec souplesse, Júlia, si maîtresse d’elle d’ordinaire, a lâché prise, et la preuve de sa confiance, c’est sa belle silhouette, ce corps si séduisant abandonné auprès de l’inconnu que je suis encore pour elle. Elle semble si légère à présent contre moi, aussi souple et sensuelle qu’une liane, mais une ombre menace de surgir, toujours la même, obsédante et encombrante, Caroline, cette femme tant aimée, n’est-elle donc plus qu’un succube, peuplant mes cauchemars ? Mais rien ne se passe, et nous demeurons longtemps ainsi, blottis l’un contre l’autre, oubliés de tous en ce bout du monde, avant de la quitter avec mes deux fruits cueillis, tout en songeant tristement que l’un d’eux est encore défendu… »
« J’immobilise d’un geste de la main l’interminable file de véhicules sur le bas-côté, près des premiers corps dénudés, baignant dans des flaques d’excréments verdâtres, recroquevillés sur la piste faite de terre battue. Certains, pris de convulsions, littéralement couverts de mouches, s’agitent dans la poussière, d’autres, tels des zombies, titubent dans notre direction, bras en avant. Le Diable semble prendre un malin plaisir à s’acharner, une fois de plus, sur ce tout petit pays… »
« Prononcés dans sa langue natale, ses mots se terminent par un long sanglot. En guise de réponse, je n’ai plus de larmes à lui offrir, car mes dernières ont été pour Elysa, ma douce enfant, lorsque je l’ai quittée, quelques mois plus tôt. Et devant ses yeux cobalt de femme-enfant, un océan de chagrin s’est lentement réveillé en moi. Je caresse enfin ses longs cheveux soyeux de mes doigts fébriles et elle me sourit enfin en pleurant silencieusement . Le bout de ma langue cueille une larme salée sur sa joue, et j’ai l’impression d’avoir absorbée son âme, dans cette gouttelette d’elle même… Alors je surgis de moi-même, pulvérisant soudain les étapes de la bienséance, réduisant à néant les règles de respect, quittant d’un seul geste, ce chemin que l’on dit si droit. Le firmament fourmille d’étoiles, mais mon ciel à moi, en cet instant, c’est la flamme vive scintillant dans les yeux de cette jeune femme… »
« Le choléra est une maladie diarrhéique, causée par une bactérie le plus souvent présente dans l’eau et les matières fécales, et vu qu’il n’existe ici aucune installation sanitaire, ni eau potable, rien ne l’arrête. Je ne cesse de compter les corps des enfants, femmes, hommes et vieillards qui disparaissent sous les incessantes pelletées de terre rouge et poussiéreuse. Jamais de ma vie, en pays étranger de surcroît, je n’aurais pensé devoir creuser une nécropole en si peu de temps, juste à la force de nos bras et celle de nos âmes… »
« J’ai vraiment froid tout à coup, et je voudrais me relever, parler, mais je n’y parviens pas. C’est une multitude d’images qui défilent à présent, je fige alors le temps sur la très belle vision de ma petite fille, face à une église couverte de neige, une nuit de Noël. Je revois cette crèche bordée de minuscules bougies, qu’Elysa et moi bien patiemment, avons fabriquée soir après soir, et ces personnages de terre cuite, bercés par les flammes, dansant comme par magie sur les murs de la pièce, tout près du grand sapin… » 
 
 

Les personnages en vidéo...

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